Au XVIIe siècle on appelait les Enfers (du provençal Infèr, inferior en latin) ou Caquiés plusieurs bassins en cascade dans lesquels se déversent les eaux grasses d’un moulin à recense.
Après extraction de l’huile d’olive par la presse, les résidus (pulpe et noyaux) contiennent encore des matières grasses. Ils sont triturés à nouveau, puis malaxés avec une quantité d’eau conséquente avant d’être envoyés vers les Enfers.
La caque (lie d’olive) remontant à la surface est récupérée pour en extraire “l’Oli d’Enfer”, une huile recueillie dans des jarres de terre cuite, qui est destinée à l’éclairage, à la conception de savon et à l’industrie.
L’Huile de recense
Après l’extraction de l’huile d’olives destinée à l’usage alimentaire, il reste des résidus qui durant des siècles finissaient dans le chaudiére du moulin ou alimentaient les sols.
Il va en être autrement avec l’époque industriel qui va demander toujours plus de cette huile de recense pour le graissage de ses multiples rouages. La marine Nationale à Toulon en consomme jusqu’à 1 million de litres par an. Les savonneries sont à la recherche de cette matière première. L’horlogerie pour le graissage des mécanismes.
Les villes aussi en sont de grandes consommatrice, pour l’éclairage public. Les églises mais aussi les particuliers en ont un besoin quotidien. La lampe à huile des provençaux est “Lou Calén”.
L’huile de recense est à présent un élément de première nécessité. Les besoins sont immenses.
Les moulins à huile vont se doter d’un équipement spécifique pour le traitement des résidus, en installant un nouveau moulin associé équipé d’une laveuse. Cette laveuse est un bassin circulaire, dans lequel tourne un axe équipé d’un peigne qui triture le marc d’olives avec l’eau, se mélange rejoindra les enfers.
La Caque récupérée à la surface des bassins sera mise sous presse pour obtenir cette huile industrielle.
Fin du XVIIe siècle, la commune, pour payer ses dettes à l’hôpital (l’Hôtel Dieu), lui donne le droit « de recevoir les eaux grasses des moulins à huile et de les conduire dans des réservoirs appelés communément enfers pour les dépurer et en extraire l’huile. »
À partir de cette époque, l’importance des revenus obtenus grâce à cette huile de recense va radicalement changer les rapports sociaux et être l’objet de convoitise et de procès entre propriétaires et mouliniers
Les Diables de la décantation
La rue des moulins, ainsi désignée depuis le XIXe siècle, était auparavant dénommée rue des Enfers.
Ces “Enfers” n’ont rien de commun avec les représentations mythologiques courantes. Au XVIIe siècle, on appelait Enfers un local de décantation doté de bassins où se déversait l’eau résiduelle des moulins. Ces bassins permettaient de récolter une huile destinée à l’industrie.
Une fois par an, ces bassins étaient vidés. Des ouvriers venaient alors pour les curer. Vêtus de tabliers en toile de jute sales, ces hommes qu’on appelait les diables. Ce sont les seuls à oser “travailler en enfer” !
Cette opération évite que les dépôts successifs de résidus ne viennent obstruer les bassins. La manœuvre est malaisée et les odeurs dégagées par le bassin alors vidé de son eau par le bas, laisse le limon boueux répandre des effluves pestilentielles.
A l’origine les bassins en cascade, le plus souvent au nombre de 3 ou 6 selon l’importance du moulin à recense, sont la plupart du temps situées à l’extérieur.
C’est une séance du conseil de commune du 3 avril 1663 qui modifie les us et coutumes, en enregistrant la Déclaration des propriétaires des Moulins à huile de l’Hôtel Dieu pour autorisation à faire des Infers pour recevoir les eaux grasses des moulins, et le revenu est employé au service des pauvres.
Un changement radical s’opère donc au XVIIe siècle par la forte demande d’huile par les industriels et va conduire à la construction de bassins en sous-sol. L’huile de recense devient alors un bien précieux.
Le Savon de Marseille
La ville de Draguignan a exploité au cours de son histoire de nombreux moulins à huile et à recense. Elle disposait ainsi de matières premières suffisantes pour prétendre à la fabrication de ses propres savons. Seules les soudes étaient importées, le plus souvent du département.
Le célèbre savon de Marseille est confectionné à partir d’un mélange d’huile (généralement végétale, parfois animale) et de soude. L’appellation « Savon de Marseille » n’est pas une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), mais correspond à une codification garantissant une teneur maximale d’acides gras.
Ce savon est principalement utilisé pour l’hygiène corporelle, comme nettoyant ménager et pour laver le linge. Un véritable savon de Marseille traditionnel est reconnaissable à 4 caractéristiques. Il doit être en forme de cube, de couleur brun-vert ou blanc, porter une empreinte sur ses six faces et ne pas contenir plus de 6 ingrédients naturels.
La production de savon à Draguignan est une ancienne tradition qui a vu le jour en 1625. Les savonneries dracénoise fabriquaient du savon uniquement à base d’huile d’olive. Ils étaient d’excellente qualité, comme l’atteste ce courrier adressé en 1813 au préfet du Var par un responsable de la municipalité :
“ L’art de faire le savon est porté à un degré de perfectionnement assez rare. Les messieurs Clément, Dalmas et Caussemille ont posé la première base de ce commerce important pour la ville et les fabricants…ils sont parvenus à rivaliser avec leurs maîtres..”
Au tournant du XXe siècle, 3 savonneries sur Draguignan sont toujours en activité mais ne résistent pas à la concurrence.